Actualité - 1 octobre 2019

#BilanDeProjet : Hacke ta Bibliothèque ! (10-12 avril 2019)

Bibliothèques et appui à la science ouverte – Université Grenoble Alpes / Grenoble INP
Résultats du brainstorming d’une des équipes du hackathon | © CC-BY
Hacke ta Bibliothèque ! - Premier hackathon Fonte Gaia - est un des projets boursier lauréats de l’appel à projets CollEx-Persée 2018-2019. Voici son bilan.

Le hackathon « Hacke ta bibliothèque ! », organisé dans le cadre de la bibliothèque numérique franco-italienne Fonte Gaia par l’Université Grenoble Alpes, visait à réunir divers participants autour d’un défi : l’indexation participative à partir de vocabulaires contrôlés en plusieurs langues (RAMEAU, Nuovo Soggettario, Library of Congress Subject Headings). Cet événement s’est déroulé sur deux jours et était précédé d’une journée d’étude, ayant pour thème « La participation des utilisateurs en bibliothèques et archives numériques : des enjeux bibliothécaires et archivistiques aux enjeux techniques ». Réunis en deux équipes, les huit participants ont, pendant deux jours, réfléchis à la préfiguration d’un outil participatif permettant aux utilisateurs d’indexer des ouvrages français et italiens à partir de référentiels.

 

1. Bilan scientifique

11. Une autre conception du hackathon

Contrairement à d’autres hackathons patrimoniaux de grande envergure, tels que ceux de la Bibliothèque nationale de France ou celui des Archives nationales, notre hackathon se caractérise par sa dimension plus modeste et par un défi restreint à une problématique très spécifique au métier de bibliothécaire et de chercheur. Les ambitions de notre hackathon étaient différentes de celles traditionnellement proposées : il ne s’agissait pas uniquement de développer des prototypes, mais également et surtout de proposer une expérience enrichissante à nos utilisateurs, dans une optique pédagogique. De ce fait, nous n’avons pas attiré le même public que d’autres événements de ce type : ce n’était pas des développeurs, mais de potentiels utilisateurs du service qu’ils allaient concevoir, ce qui augmente la valeur de leurs productions pour nos recherches sur les rapports entre utilisateurs et services en bibliothèques numériques. De la même manière que nous organisions un hackathon pour la première fois, la plupart de nos « hackatheurs » participaient également pour la première fois à ce type d’événement, ce qui en a fait un événement formateur pour chacun d’entre nous.

Cet aspect initiatique et formateur est un élément central de notre hackathon. Se pose en effet la question de la valeur et de l’éthique d’un tel événement dans le cadre d’un projet patrimonial et de recherche. En effet, il serait possible de nous objecter que notre hackathon n’offrant pas de prix de grande valeur, nous avons fait faire à nos utilisateurs un travail déguisé gratuit, sans véritable enrichissement pour l’utilisateur. Cela irait à l’encontre de toute forme d’éthique de la recherche et à l’encontre de la philosophie adoptée par Fonte Gaia depuis ses débuts, à savoir celle du public engagement. Cependant, lors de notre hackathon et sur le modèle de ceux organisés par la BnF et les Archives nationales, nous avons mis l’accent sur la présence de personnes-ressources, experts de leur domaine, qui ont pu échanger avec les utilisateurs et leur transmettre leurs connaissances. Il s’agissait qu’à la fin du hackathon, les participants aient un autre regard sur les bibliothèques numériques, la participation des utilisateurs et la conception de services.

La journée d’étude allait également dans ce sens, en apportant aux participants de quoi nourrir l’ensemble de leurs réflexions pendant les séances de travail en groupe du hackathon. Elle a réuni cinq intervenants aux profils variés (chercheurs, archivistes, bibliothécaires) et une trentaine de participants. Elle a ainsi permis d’introduire les principales problématiques du hackathon autour des utilisateurs, de la participation et des interfaces, en croisant différents points de vue : celui du bibliothécaire (Lionel Dujol), celui du chercheur (Elena Pierazzo, Karl Pineau) et celui de l’archiviste (Stéphane Rodriguez-Spolti, Lisa Chupin).

Cette journée et la participation d’experts constituent une vraie plus-value pour notre hackathon et fait de ce dernier un événement de type public engagement, reposant sur une réciprocité des savoirs. D’un côté, Fonte Gaia obtient de nouveaux regards sur son projet et des idées de services ; d’un autre côté, les utilisateurs s’enrichissent de nouveaux savoirs et compétences.

Dans un tel hackathon, ce n’est pas tant la production que ce que la production dit d’elle-même et des personnes qu’ils l’ont conçue qui nous intéresse ; ce n’est pas tant le nombre de productions qui importe que la rencontre avec ses potentiels utilisateurs. C’est en effet une occasion privilégiée d’avoir un aperçu des besoins de ces derniers et de leurs perceptions des services d’une bibliothèque numérique. À travers ce hackathon, nous proposons ainsi une autre manière de réutiliser l’ensemble des données produites que la seule mise en production du projet lauréat.

12. Présentation des deux projets

La première équipe a proposé un outil d’indexation simplifiée. Cet outil serait accessible depuis l’interface publique de la bibliothèque numérique et ne nécessiterait pas de compte utilisateur. Les participants ont présenté une interface facile à utiliser et intuitive, s’adressant à des étudiants, des amateurs éclairés ou des jeunes chercheurs. Lorsqu’un utilisateur souhaite ajouter un mot-clé, il choisit ce dernier en parcourant l’arborescence d’un vocabulaire contrôlé (RAMEAU ou Nuovo Soggettario). Le processus d’indexation est simplifié : l’utilisateur n’est pas invité à créer des vedettes RAMEAU, composées d’une suite de mots-clés placés dans un ordre précis, mais uniquement à sélectionner des termes décrivant selon lui une œuvre. Les mots-clés des utilisateurs sont soumis à une double validation : une validation par leurs pairs, via un système de vote, et une validation finale par un expert. Cet outil a été pensé comme une forme d’exploration au hasard des contenus. En effet, lorsque l’utilisateur ajoute un mot-clé, l’outil lui propose d’autres ouvrages ayant été indexés avec le même terme. Ces mots-clés sont ensuite réutilisés pour étendre les requêtes des autres utilisateurs à d’autres termes reliés.

La deuxième équipe est partie dans une direction distincte, en imaginant un « dispositif participatif de formation aux humanités numériques ». Ce dispositif s’adresse principalement à des étudiants, encadrés par des chercheurs et des bibliothécaires. Il propose plusieurs activités : un enrichissement des métadonnées de Fonte Gaia, en ajoutant de nouveaux éléments Dublin Core ; une annotation sémantique où l’utilisateur peut commenter des portions de texte grâce à la technologie IIIF et le recours à Mirador ; un outil de transcription et d’encodage en XML-TEI. Parmi ces activités, l’indexation se trouve au niveau de l’annotation du texte avec Mirador. Ce dernier permet en effet à un utilisateur d’ajouter des mots-clés aux commentaires. Cette équipe a alors envisagé que l’utilisateur sélectionne un mot-clé dans un vocabulaire contrôlé.

Il a été difficile de trancher entre ces deux projets de grande qualité. C’est finalement celui de la deuxième équipe qui a remporté le hackathon. Si ce projet est plus difficilement réalisable que le premier, il fait écho à l’orientation public engagement de Fonte Gaia. Le premier projet repose au contraire sur les principes du crowdsourcing incarné par cette proposition des participants de « faire de l’indexation sans le savoir ». Cependant, cela va à l’encontre du défi proposé, où il s’agissait d’initier l’utilisateur à l’indexation. Faire indexer l’utilisateur sans qu’il le sache reviendrait finalement à le faire travailler sans qu’il en ait conscience. Ce projet se heurte ainsi, du point de vue de la philosophie participative adoptée par Fonte Gaia, à de forts enjeux éthiques. Cependant, en raison de sa qualité conceptuelle, nous souhaiterions prendre le parti d’intégrer également ce projet à Fonte Gaia, après une phase d’ajustage de l’outil dans une optique public engagement. Fonte Gaia deviendrait ainsi le lieu d’une expérimentation d’une indexation à deux niveaux : une indexation au niveau du texte et une au niveau de l’œuvre. Les suites pour l’intégration de ces scénarios seront étudiées à l’échelle du projet.

13. Des visions de la participation opposées

Ce hackathon a été décisif pour penser l’évolution de l’offre de services de Fonte Gaia. Mais il nous a également fourni des données sur la perception de la participation par des utilisateurs de bibliothèques numériques. Les deux équipes ont manifesté des visions très différentes de la participation, malgré des profils similaires dans chacune d’entre elles.

La principale différence réside dans le modèle participatif employé par chaque équipe. La première a envisagé l’indexation participative comme un service coopératif, inspiré du modèle du crowdsourcing. C’est une activité ponctuelle, qui repose sur une juxtaposition des connaissances des utilisateurs. La seconde équipe a, quant à elle, envisagé un service collaboratif de type public engagement, voire de ce que nous pourrions qualifier d’academic engagement. La bibliothèque numérique devient ici un lieu d’initiation à des activités scientifiques numériques, telles que l’indexation ou la réalisation d’éditions numériques savantes.

Pour autant, bien que différents, ces deux projets ont une vision similaire de l’indexation participative. En effet, l’indexation telle que pratiquée par les bibliothécaires a été jugée par nos participants trop complexe pour être réalisée par les utilisateurs. Dans les deux cas, c’est une indexation simplifiée qui a été envisagée, où l’utilisateur ajoute des mots-clés à partir de vocabulaires prédéfinis, permettant de pallier les défauts du taggage, mais sans reprendre les principes d’utilisation et de combinaison des mots-clés inhérents à chaque vocabulaire. L’influence du profil bibliothécaire de la moitié des participants transparaît ici sur les services imaginés. En effet, l’indexation à partir de référentiels se situe au cœur du métier de bibliothécaire et suit des règles précises. La mise au point d’un tel service a pu être perçue comme un ébranlement des compétences des bibliothécaires. En proposant une indexation simplifiée, il s’agirait alors de mettre en valeur leurs expertise et leur autorité, en soulignant que l’indexation ne peut pas être improvisée ni mise à la portée de tout le monde. Les deux projets élaborés par nos participants se rapprochent donc d’une « indexation enrichissante », qui propose une sensibilisation à une pratique bibliothécaire plutôt qu’une initiation à cette activité dans son entièreté.

Un autre point commun entre les projets, qui est d’une certaine manière liée à la question de l’autorité de la bibliothèque et du bibliothécaire, est le soin apporté à l’encadrement et à la validation des contributions. Dans les deux cas, les contributions sont validées in fine par des experts. Les projets de nos participants proposent des systèmes de validation qui répondent aux exigences d’exactitude et de rigueur scientifique attendues par les utilisateurs, mais également par les bibliothécaires qui partagent une partie de leur activité professionnelle avec le public de la bibliothèque. Il s’agit ainsi de garantir la scientificité et la qualité des données en leur appliquant le « sceau de l’institution ».

L’ensemble de ces résultats ont alimenté mes travaux de thèse sur les services participatifs en bibliothèque numérique, en expérimentant une méthode de co-création des services avec de potentiels utilisateurs. Les résultats ont fait l’objet d’une première présentation lors d’une journée d’étude organisée par le projet Fonte Gaia le 18 juin 2019 autour de la collaboration chercheurs-bibliothécaires. Ils seront également présentés sur le blog de Fonte Gaia au cours d’une série de billets.

2. Bilan institutionnel et professionnel

L’organisation de cet événement s’est fait en étroite collaboration avec la bibliothèque universitaire de Grenoble. Par collaboration, j’entends une véritable mutualisation des efforts, des compétences et des expertises de chacun, et pas seulement une juxtaposition de nos efforts, où chacun réaliserait individuellement la tâche qui lui aurait été confiée, ce qui se serait apparenté à de la coopération. La bibliothèque n’a été pas uniquement le lieu d’accueil de ce hackathon. Elle m’a accompagnée à chaque étape du projet et a participé à toutes les prises de décision aussi bien scientifiques qu’organisationnelles. Elle m’a fait bénéficier de son expertise en gestion de projet, en animation d’ateliers ou encore en gestion du droit d’auteur et du droit d’images.

Les aspects scientifiques du projet ont également fait l’objet de nombreux et fructueux échanges. Les questions de recherche portaient en effet aussi bien sur le contenu du hackathon (l’indexation sous une forme participative) que sur le hackathon lui-même, sur la forme à lui donner dans le cadre d’un projet scientifique et sur sa place dans une bibliothèque. Ce hackathon rencontrait ainsi à la fois mes intérêts de recherche sur les services participatifs en bibliothèque numérique et ceux de la bibliothèque, autour des services à la recherche et de l’ouverture de ses espaces à l’organisation d’événements participatifs, où l’usager prend part à la vie de la bibliothèque.

D’un point de vue professionnel et personnel, ce hackathon m’a permis d’acquérir de nouvelles compétences, telles que la gestion d’un budget, l’organisation d’un plan de communication ou l’animation d’une journée d’étude, compétences que je pourrai réinvestir dans de futurs projets. Si j’avais déjà eu l’occasion de participer à l’organisation d’événements scientifiques au sein de mon laboratoire d’italien, je n’avais eu qu’un petit aperçu de l’ensemble des tâches à réaliser en amont. Le hackathon m’a permis de couvrir tous les aspects liés à sa préparation et d’avoir ainsi une meilleure idée des différentes étapes et de l’ordre dans lequel elles se succèdent. L’un des grands apports de cette expérience est de m’avoir permis de découvrir une bibliothèque depuis ses coulisses, de mieux connaître son organisation, ainsi que les rôles et les compétences de chacun. À travers le projet Fonte Gaia, je collabore de manière régulière avec les bibliothécaires et les ingénieurs de la BU de Grenoble, mais je n’avais jamais eu l’occasion de voir le fonctionnement de cette dernière depuis l’intérieur. Cela m’a confortée dans l’idée que l’expertise des bibliothèques est un atout indispensable pour tout projet en humanités numériques, ce qui m’encourage à poursuivre cette collaboration lors de futurs projets, mais également à inviter d’autres jeunes chercheurs à se tourner vers les membres des bibliothèques pour trouver un appui certain dans la réalisation de leurs projets numériques.

 

3. Bilan financier

Sur les 3 000 euros de la bourse allouée, 2 261 euros ont été utilisés pour l’organisation du hackathon et de la journée d’étude. Cet argent a été réparti en plusieurs pôles de dépenses : le transport et l’hébergement de certains participants venant de loin, la restauration des participants pendant les trois journées, l’achat de fournitures pour l’organisation des ateliers du hackathon et d’objets promotionnels, ainsi que l’achat de prix pour les participants. Le budget détaillé arrivera à la rentrée.

Nous n’avons pas utilisé l’ensemble du budget en raison de l’absence d’un facilitateur pour l’animation du hackathon, facilitateur qui représentait un pôle de dépenses important dans notre budget prévisionnel.

Elina Leblanc

Doctorante en humanités numériques (Laboratoire LUHCIE & LIG) « à l’époque du projet »

et Lucie Albaret (Tutrice)

Directrice des services d’appui à la recherche, Service interétablissement de documentation – Université Grenoble Alpes / Grenoble INP

 

Voir la page-projet > ici

#BilanDeProjet

Une actualité ou un événement à partager avec nous ?

Proposez vos actualités et événements afin qu'ils soient publiés sur le site du CollEx-Persée